La réaction des académies européennes de science et de médecine face à la reconnaissance de la MTC par l’OMS

La réaction des académies européennes de science et de médecine face à la reconnaissance de la MTC par l’OMS

Dossier : « Quelle place donner à la Médecine Traditionnelle Chinoise dans les systèmes de santé mondiaux ? »

C’est en 2015 que le Prix Nobel de médecine a été décerné à Youyou Tu, praticienne en Médecine Traditionnelle Chinoise, pour sa mise au point d’un traitement contre le paludisme à partir d’un extrait de la plante Artemisia annua dont les vertus médicinales sont connues depuis des millénaires en Chine. L’obtention de l’ultime reconnaissance internationale relance un petit peu plus le débat sur la considération de cette pratique multiséculaire par l’occident. Dans la foulée, en 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) – l’institution spécialisée de l’Organisation des Nations unies (ONU) – reconnait dans sa nouvelle classification internationale des maladies CIM-11 la médecine traditionnelle et complémentaire. Etonnamment, alors que des millions de personnes y ont recours dans le monde, elle n’avait jamais été répertoriée dans ce système. Cette reconnaissance constitue-t-elle une opportunité pour le développement d’une véritable MTC en occident ou ne scelle-elle pas le premier acte d’un combat mené de front par la médecine conventionnelle ?

La MTC enfin reconnu dans un corpus international facilitant son intégration

L’OMS définit la médecine traditionnelle comme « la somme de toutes les connaissances, compétences et pratiques reposant sur les théories, croyances et expériences propres à différentes cultures, qu’elles soient explicables ou non, et qui sont utilisées dans la préservation de la santé ». Leur apparition dans son nouveau classement n’est pas une surprise au regard de la stratégie de l’OMS de faire en sorte que cette médecine soit plus étroitement intégrée dans les systèmes de santé. Dans les faits, les médecines traditionnelles, comme par exemple la médecine ayurvédique indienne, sont largement adoptées et ce dans le monde entier. La CIM-11, présentée lors de la 72ème Assemblée mondiale de la Santé en mai 2019 pour adoption par les États Membres, entrera en vigueur le 1er janvier 2022.

La reconnaissance de la MTC dans ce corpus de plus de 55000 maladies, symptômes, traumatismes et lésions, lui offre un véritable rayonnement international. L’acupuncture, la moxibustion, la pharmacopée sont officiellement reconnus au chapitre 26 de la CIM-11. Les 194 pays membres ont enfin accès à un répertoire de pratiques de la médecine traditionnelle soigneusement codifié et facilement accessible. Le plan stratégique 2014-23 de l’OMS pour la médecine traditionnelle conduit les pays membres à renforcer les connaissances sur la MTC, à réglementer les formations et les pratiques, et surtout à intégrer la MTC dans les systèmes de couverture santé.

Les académies européennes de science et de médecine mettent en garde contre un usage non réglementé

Alors que la reconnaissance de la MTC au sein de la CIM-11 sonnait comme une opportunité pour l’ensemble des praticiens non conventionnels, la réaction de la communauté des médecins conventionnés ne s’est pas fait attendre. Le 7 novembre 2019, l’EASAC et la FEAM, soit les académies européennes de science et de médecine, exigent que la MTC soit encadrée et soumise aux mêmes critères d’exigence que la médecine conventionnelle. Somme toute logique à première vue, cette exigence peut constituer une véritable barrière au développement de la MTC.

En demandant les mêmes standards de preuve que la médecine conventionnelle, les académies européennes entendent par là que soient réalisés des essais cliniques. Cette requête pose fondamentalement un problème pour la MTC qui souffre en occident d’un manque structurel de laboratoires ou d’instituts publics disposant des ressources pour réaliser ces essais. Paradoxalement, les freins à la reconnaissance constituent également des freins au financement de ces institutions. Finalement, plus on demande à la MTC de faire la preuve de son efficacité moins on l’aide dans ce dessein. C’est somme toute oublier qu’elle a fait empiriquement ses preuves et s’est bâtie sur des siècles d’observations sans disposer des moyens techniques modernes.

Par ailleurs, la déclaration commune des deux institutions mentionne dans son introduction que la récente intégration des syndromes de la MTC dans la CIM-11 aurait une influence sur les statistiques de santé. Il est précisé que ces chiffres peuvent avoir des conséquences financières importantes car ils permettent de déterminer la direction de nombreux investissements.

Les facteurs de risque de la MTC

Parmi les principaux risques avancés par les experts des académies européennes, celui d’un retard de prise en charge et donc d’une perte de chance pour les malades de guérir. Intrinsèquement préventive, l’objet de la MTC n’est pas d’intervenir dans une logique curative. De plus, ces dernières années, notamment en France, de nombreux médecins conventionnels proposent des soins d’acupuncture notamment en complément de traitements de maladies lourdes comme le cancer.

Le médecin gériatre Christophe de Jaeger juge la pharmacopée chinoise comme problématique avec des cas d’intoxications graves après l’usage de compositions aux origines incertaines comportant des molécules toxiques.

Il ne fait pas de doute que tout produit destiné à être ingéré, a fortiori dans un but de rétablir la santé, doit faire l’objet de contrôle tout le long de sa chaîne de production. Les ingrédients de pharmacopée chinoise ne font pas exception à la règle. L’on voit d’ailleurs les efforts qui sont mis en place par certains laboratoires dans ce sens. Par ailleurs, il est évident que tout soin doit être effectué par un professionnel dûment formé et respectant un code de déontologie propre à sa pratique.

Nous osons pourtant poser la question : la MTC peut-elle pour autant se plier au paradigme de la médecine conventionnelle sans la dépouiller de son propre système ?

Jacques André Lavier, qui a formé nombre de médecins acupuncteurs à la S.M.A.C. (Société Médicale d’Acupuncture Chinoise), écrivait dans l’avant-propos de son livre (1) :

La Tradition ne tolère aucune discussion en ce qui concerne son contenu et, par là, échappe à tout type de critique : ou bien on l’accepte, ou bien on la rejette, et cela dans sa totalité, car chacun de ses éléments est étroitement dépendant de l’ensemble des autres et ne peut en être abstrait sous aucun prétexte, car il perdrait alors tout sens…

Médecine Chinoise, médecine totale

A l’orée du 21ème siècle, il serait souhaitable qu’un vrai dialogue soit engagé entre la MTC et la médecine conventionnelle dans un objectif de recherche et développement. En pratique et de manière sporadique, on voit déjà les deux médecines cohabiter harmonieusement pour le plus grand bénéfice des patients.

Sources :

(1) Jacques-André Lavier (1973), Médecine chinoise, médecine total, Grasset.

Guillaume Ricciuti

Praticien en Énergétique Traditionnelle Chinoise. Diplômé de l'IEATC Paris sous la direction de Thierry Bollet. Titulaire du DNAT.

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