par Bernard Avel Vice-Président du CSNAT (1)
Depuis son introduction en Occident, et en France en particulier, l’acupuncture a connu des fortunes diverses avec des mises à l’index du clergé conservateur et d’un monde médical, tout juste émergé du moyen-âge, jaloux de ses prérogatives et de son pouvoir sur la société. Depuis la mise en lumière de cette médecine multiséculaire par les jésuites français, jusqu’à l’accaparation des savoirs fondamentaux du pionnier Georges Soulié de Morant, l’acupuncture française reste tiraillée, à son détriment, entre les médecins conventionnés et les non-médecins.
Les jésuites découvrent la « médecine des Chinois »
Les premières traces de médecine chinoise en occident sont probablement celles fournies par les jésuites portugais vers le milieu du 16ème siècle. Les jésuites français envoyés en Chine par Louis XIV vont, un siècle plus tard, commencer à rédiger des rapports sur la « médecine des Chinois ». Ces récits sommaires ne seront que le reflet de ce qu’ils en auront compris et retenu. Leurs interprétations s’inspirent souvent de leur morale religieuse. A cette époque, la médecine occidentale commence à se construire sur une pensée rationnelle et scientifique qui ne la quittera plus, lui interdisant ainsi une ouverture sur un horizon hors des concepts qu’elle s’est forgée. Toutefois, on reconnaît à cette « médecine des Chinois » une certaine efficacité, avec ses petites aiguilles et ses plantes inconnues, qui laissera une trace chez les esprits curieux.
D’autres expéditions vers la fin du 17ème siècle, en Chine et au Japon, rapporteront des informations plus complètes avec des descriptions utiles sur les techniques et des résultats cliniques. Il faudra attendre le début du 19ème pour voir les premières mises en pratique en France et en Angleterre. La pratique reste empirique par manque d’accès aux documents fondamentaux. Mais, très rapidement, dans la seconde moitié du 19ème, le désintérêt s’installe face à une médecine qui se modernise grâce aux progrès de la science et à des découvertes majeures. La médecine chinoise est alors regardée comme une curiosité exotique, voire superstitieuse, pratiquée dans les milieux mondains. La médecine occidentale, corporatiste, s’organise sur tout le territoire avec l’aide de l’administration française qui la consacre comme officielle.
Georges Soulié de Morant ouvre la voie de l’acupuncture aux médecins français
Il faudra attendre le 20ème siècle pour que Georges Soulié de Morant, sinologue et diplomate à Pékin, profite de son séjour en Chine pour s’initier à l’art de l’acupuncture et consigner ses connaissances dans des ouvrages précis et documentés. Cette époque voit aussi apparaitre en France l’homéopathie, cette « nouvelle médecine » importée d’Allemagne pratiquée par quelques médecins peu impressionnés par les normes et règles académiques. Ces pionniers vont réussir à convaincre quelques hôpitaux parisiens d’ouvrir leurs portes à des essais cliniques en acupuncture. Ainsi, commence à s’élaborer des embryons d’enseignements qui néanmoins ne dépassent pas le cadre de très petits groupes d’élèves.
Ces petits groupes vont s’organiser en « chapelles » pour valoriser leur nouveau savoir et exiger que l’Etat leur reconnaisse un statut instituant l’acupuncture comme technique médicale. Ce statut, auto-proclamé dans la période d’après-guerre, reçoit l’accord d’une administration désorganisée. N’étant pas médecin, cette évolution fait alors de Soulié de Morant un illégal au regard de la loi. La situation aura raison de sa santé physique et morale, face à tant d’injustices et de trahisons de la part de ceux qu’il aura initiés par ses travaux de recherche sur les textes fondamentaux.
L’acupuncture appartient ainsi aux médecins et voit se multiplier des syndicats ou sociétés savantes. La dernière consécration sera le remboursement de l’acte par la Sécurité sociale. Toutefois, le nombre de médecins qui opteront pour cette pratique restera assez marginal et souvent très complémentaire à la prescription homéopathique. L’esprit d’indépendance aura raison d’une certaine cohésion propre à la profession médicale libérale.
Après plusieurs années d’enseignements dans différentes universités, l’acupuncture n’obtiendra pas le statut de spécialité, même avec un DIU, et les médecins se tourneront peu à peu vers des spécialités plus reconnues. Les chaires fermeront leurs portes faute d’inscriptions. Ces médecins « corporatistes », qui se sont bunkérisés dans leurs syndicats, auront mis en danger d’extinction l’acupuncture française en protégeant leur pré carré à coup de procès à répétition contre les « illégaux ».
Organisation de la formation et retard dans la reconnaissance des non-médecins
C’est dans ce contexte de luttes intestines que se sont développés l’enseignement privé et l’exercice par des non-médecins, où l’on observe l’excellence et la médiocrité, dans l’indifférence des pouvoirs publics. Parallèlement, des organisations professionnelles de praticiens non-médecins se sont constituées dans les années 70 avec l’intention de fédérer la profession. Ces belles intentions vont se heurter et reproduire l’erreur des médecins en créant des syndicats et fédérations sur des projets différents quant à l’organisation et la reconnaissance professionnelle par les autorités de santé.
L’acupuncture se lobbyise en introduisant la pharmacopée chinoise qui va voir naitre de nombreux laboratoires pilotés par des intérêts commerciaux. Ces officines vont, bien sûr, favoriser la promotion d’organisations professionnelles qui soutiendront leur introduction dans la reconnaissance de l’exercice global de la médecine traditionnelle chinoise.
Bien que la pratique de l’acupuncture soit reconnue comme étant réservée aux médecins, une loi n’a toujours pas consacrée cette reconnaissance officielle. Cette situation créée donc un vide juridique qui embarrasse les magistrats saisis pour exercice illégal de la médecine qui justifient leurs décisions en prononçant des relaxes, sauf dans des cas de faute grave impliquant aussi des médecins.
Paradoxalement, alors qu’elle fut pionnière dans la promotion de cette médecine trimillénaire, la France, après le Portugal (2), reste le dernier Etat de l’Union Européenne à ne pas avoir organisé un véritable dialogue entre les organisations professionnelles et les acteurs sociaux. Cette absence de régulation laisse une voie royale au charlatanisme et à l’incompétence, préjudiciable à des patients qui n’ont pas de repères dans le choix d’un praticien reconnu.
Quel avenir pour l’acupuncture en France ?
La France doit, malgré les prétextes de faits d’actualité plus brûlants, montrer qu’elle peut être un exemple et un pôle d’attraction par la qualité de ses enseignements privés afin de mettre un terme à ce flou juridique en créant un cadre d’exercice propre à chaque compétence professionnelle. L’exemple de l’ostéopathie prouve que les organisations professionnelles ont parfaitement les moyens de gérer leurs adhérents et d’assurer la formation continue qui doit être rendue obligatoire. Il y a une demande sociétale croissante que l’Etat ne peut ignorer où médecins et non-médecins auront leur place dans une collaboration et un échange de compétences reconnues et protégées. C’est un challenge gagnant/gagnant devant lequel l’Etat ne peut se soustraire.
Le temps des prétextes n’est plus un argument. Praticiens, étudiants et patients attendent une réponse.
Sources :
(1) Extraits inspirés de l’article de Cédric Polère du 20/03/2007 d’après la thèse de Ronald Guilloux (2006), De l’exotique au politique : la réception de l’acupuncture extrême-orientale dans le système de santé français (XVIIe-XXe siècles), Thèse de doctorat en Science politique, Lyon 2.
(2) Décision de la Cour administrative de Lisbonne en août 2013 parue au J.O le 2 septembre 2013.